24 novembre 2024

DEVOIR DE MEMOIRE ?

Une étrange rumeur parcourt l’europe, et, plus généralement, l’occident civilisé, chrétien, marchand: le devoir de mémoire serait à l’ordre du jour. 1989 succédant à 1945, les honorables représentants des démocraties occidentales auraient pu, après leur long et difficile combat contre le totalitarisme, se laisser aller à un triomphalisme de mauvais aloi. Conscients cependant de la fragilité d’une telle victoire et de la propension naturelle de l’homme aux extrêmes, ils ont au contraire choisi de lancer à leurs concitoyens ce pathétique appel: …Mes biens chers frères, prenez garde! La Bête n’est pas morte, elle peut, à tout instant, se réveiller! D’inquiétants signes semblent d’ailleurs aller dans ce sens. Des forces obscures font sournoisement leur nid dans l’europe d’aujourd’hui. A peine masqués, en effet, s’avancent les falsificateurs du passé, les Assassins de la mémoire, les chiffonniers de l’histoire! Ne nous laissons pas abuser par l’apparente marginalité du phénomène et ne craignons pas de le proclamer bien fort: oui! Il faut parler des révisionnistes et en reparler encore, assurer à leurs thèses toute la publicité qu’elles méritent! Car, voulez-vous réellement éviter que ne se reproduise l’innommable? Alors ne laissez pas plus longtemps insulter la mémoire, ne soyez plus sourds à ses exigences, déployez une vigilance de tous les instants! Ne l’oubliez pas: tout dépend de vous!…

Loin de nous la volonté de remettre en cause la sincérité et la pureté des intentions de nos dirigeants et de leurs porte-plume: nous savons ce que nous leur devons et les traitons en conséquence. Nous saluons au contraire dans la reconnaissance officielle de l’importance de la mémoire, un tournant historique radical, de nature à infirmer complètement les thèses en apparence les mieux établies de la critique radicale. On croyait savoir en effet que notre société reposait précisément sur l’évacuation de l’histoire et donc de la mémoire:
…L’image obsédante d’un homme sans mémoire est un phénomène nécessairement lié au principe de progrès dans la société bourgeoise…

L’histoire et…le passé même de la société…se trouvent supprimés -et son futur dans la mesure où à travers…le passé…sont évoqués le changement qualitatif, la récusation du présent…société établie semble redouter les contenus subversifs de la mémoire…En effet, le souvenir est une faculté de dissociation à l’égard des faits donnés, une forme de  » médiation  » qui met en cause, pour de brefs instants [leur] pouvoir omniprésent et la mémoire, rappelant la terreur mais aussi l’espoir, …préserve l’histoire…Ainsi, quand…le passé intervient dans le présent, il dévoile les facteurs qui provoquèrent les faits, qui déterminèrent les manières de vivre, qui établirent les maîtres et les serviteurs; il projette les limites et les possibilités qui se sont offertes…

Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et que je pourrais, si je le voulais, multiplier à plaisir, références! Citations! Erudition!… m’abriter sans cesse derrière un tel ou une telle…enfin différer ad vitam aeternam l’expression de mes propres réflexions…L’exigence de mémoire a une histoire, un passé: voilà ce que je voulais rappeler. Les lexicographes radicaux la définissaient ainsi: réhistoriciser notre société, lui faire perdre son caractère naturel et allant de soi, rendre à l’état fluide ce qui se présentait à l’état coagulé.

Or, nous l’avons vu, à ce stade de son développement, le capitalisme prétend justement réintégrer l’histoire et la mémoire. Sommes-nous donc en face d’une opération d’auto-sabordage? Il nous semble, au contraire, que, puisque ce qui était combattu est ainsi brusquement reprojeté au centre de l’attention sociale, c’est que l’évocation du passé, un passé préalablement déshistoricisé ne sert plus à la récusation du présent mais à son renforcement. Si ce que nous venons d’avancer est vrai, cela signifie que les mots: passé, histoire, mémoire ont été victimes d’une redéfinition meurtrière visant à les faire rentrer dans la novlangue spectaculaire.

Le présent devoir de mémoire porte en effet à la fois sur l’Histoire, sur l’événement historique (plus précisément sur un événement historique unique) et sur l’histoire, sur le travail de l’historien ou de celui qui se prétend tel…(laquais s’entend). A l’intérieur de chacun de ces domaines, un ancien structuraliste, devenu moraliste bourgeois, a voulu, après d’autres, opposer deux tendances ; une tendance à la  » sacralisation  » (celle-ci, à la différence de la spécification historique qui …exige de mettre en relation [un événement] avec les autres…afin …d ‘identifier sa position unique dans l’histoire…, cherche au contraire à  » l’isoler du reste « , à…le maintenir dans un territoire à part, où rien ne peut être rapproché de lui…) et une tendance à la  » banalisation  » (…plaquer le passé sur le présent,…assimiler purement et simplement l’un à l’autre et ainsi méconnaître les deux…): il ne voit pas que les deux sont liées (très souvent d’ailleurs chez les mêmes personnes) et que l’une est la condition de l’autre. En effet, en quoi consiste au juste la sacralisation? En une déshistoricisation du nazisme et, en particulier, du génocide dont on postule une unicité ontologique:…rien ne se peut comparer à Auschwitz… Celui-ci devient alors le paradigme de l’horreur absolue, un point de référence incontournable par rapport auquel les autres horreurs deviennent relatives…les autres horreurs ? Non!…seulement  » nos  » propres horreurs (en particulier le colonialisme et l’impérialisme)…

Ici intervient le deuxième mouvement: après la sacralisation- relativisation, la banalisation-réduction. En effet, lorsque se trouvent placés sous les feux de la rampe spectaculaire les horreurs commises par ceux que nos maîtres ont décidé de désigner comme nos adversaires, la comparaison intervient automatiquement et transforme n’importe quel massacre local en nouvel Holocauste (le point de référence déshistoricisé peut d’ailleurs varier: Goulag ou Génocide Khmer  » rouge « …), réduisant par là même l’holocauste au rang de n’importe quel massacre local. ..L’apposition du sceau  » Auschwitz  » sur les horreurs de nos ennemis sert alors à justifier nos entreprises contre eux.

Des exemples? En voilà… Le Kosovo? Une guerre  » ethnique du type des années 30 et 40  » (Joshka Fisher), un  » génocide racial hideux  » (Blair),  » on doit manquer de chambres à gaz, en Serbie…  » (Giroud dite la gueuse Françoise),  » les enquêteurs (.. .) craignent que jusqu’à 1000 corps aient été incinérés dans les fourneaux, du genre de ceux utilisés à Auschwitz  » (Mirror),  » camps de concentration au Kosovo  » (Scharping). Dès 1994, lors d’un discours au Musée de l’Holocauste à Washington, intitulé  » La Bosnie à la lumière de l’Holocauste « , Allbright déclarait:  » Les dirigeants bosniaques serbes ont cherché une solution finale d’extermination ou d’expulsion au problème des populations non serbes sous leur contrôle « .

A travers ces citations, le lecteur commencera sans doute à apercevoir la signification concrète du présent devoir de mémoire. La pratique n’est d’ailleurs pas vraiment nouvelle et précède d’assez loin sa définition-inversion. L’histoire [ne] cesse [pas] d’apparaître dans l’univers du discours « : on  » y évoque assez bien le passé  » mais  » ce sont aussi des évocations ritualisées « , périodiques, ajouterions-nous,  » qui ne permettent pas de se développer au contenu auquel elles se réfèrent « ; l’évocation du passé s’y mord la queue et tourne sans cesse sur elle-même. Des noms à majuscule: Goulag, Shoah, Khmers rouges, Auschwitz, Holocauste,… flottent ainsi à la surface médiatique, détachés de l’histoire réelle et transformés en symboles abstraits. Le vrai étant devenu un moment du faux, ils peuvent alors être insérés dans la circularité anti-dialectique du spectacle (d’où l’utilisation de formules rituelles du type:  » on n’a jamais vu çà depuis la Seconde Guerre, le génocide Khmer rouge, …). L’échantillon donné plus haut constitue une variante de ce mécanisme puisque la référence globale à la solution finale s’y combine avec un sous-système où ce sont des fragments, des morceaux de l’événement lui-même (chambres à gaz, fours crématoires, camps de concentration, …) qui servent à leur tour de points de référence. Mais le devoir de mémoire porte également, nous l’avons dit, sur le travail de l’historien lui-même. De même que le processus de sacralisation décrit plus haut, coupait Auschwitz du reste de l’histoire contemporaine, la polémique autour du  » révisionnisme  » détache celui-ci de l’ensemble pourtant bien fourni des impostures historiques de l’époque. De fait, les médiatiques préfèrent recommencer cent fois l’édifiante histoire d’une manipulation, d’une négation et d’une falsification particulière plutôt que de se livrer à une dénonciation de la manipulation, de la négation et de la falsification de l’histoire en général. Pourquoi une telle distinction? Le phénomène ne justifie nullement, par lui-même, un tel déploiement d’efforts à son encontre (dont on sait qu’en retour se nourrit le microphénomène  » révisionniste « ).
Celui-ci ne se distingue en effet ni par la subtilité ni par la nouveauté (mis à part sa variante gauchiste sur laquelle nous reviendrons): si nouveauté il y a, elle réside bien plutôt dans le traitement de la chose que dans la chose elle-même.
Alors? Alors l’explication est finalement assez simple: cette démocratie si fragile, veut en effet être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. Ne pouvant cependant s’en prendre de front à ses ennemis réels, ni encore moins, présenter ceux-ci sous leur vrai jour, il lui faut d’abord fabriquer elle-même un pseudo-ennemi : le révisionnisme. Au terme d’une décennie où l’authentique vieille taupe, celle du négatif, s’était brutalement rappelée au bon souvenir de la classe dominante et de son Etat, ce dernier trouva dans la mise en place d’une brigade rouge  » théorique  » (le lancement de Faurisson intervient juste après l’enlèvement et l’assassinat de Moro), la Vieille Taupe révisionniste, un excellent moyen de reprendre l’initiative. Passé depuis longtemps maître dans l’art de la confusion, il a su habilement déployer une caricature de critique sociale, caractérisée par une inanité et un crétinisme visible (opposer le blanc au noir, transformer la critique de l’instrumentalisation du génocide en sa négation, réécrire l’histoire conformément à une idéologie préétablie…) afin de mieux discréditer par amalgame la vraie, et ramener ainsi toute la théorie subversive au révisionnisme, et, par ce biais, au fascisme et à l’antisémitisme. Les extrêmes se touchent: la vieille chanson de M. Prud’homme en retrouve alors un semblant d’actualité.

Surtout, la problématique anti-révisionniste permet un changement d’orientation non négligeable. Jusqu’alors la conviction plus ou moins vague que l’ennemi c’était l’Etat régnait dans d’assez larges secteurs de la population; maintenant le danger semble provenir des adversaires de la  » démocratie  » (forcément antisémites) et l’Etat fait figure de refuge. Mieux, c’est lui qui est chargé de fixer les termes du débat et de sommer chacun de choisir son camp: extrémiste réviso-gaucho- fasciste ou démocrate anti-réviso-anti-fasciste. Ainsi, l’idée parfaitement fausse historiquement (comme nous le verrons plus loin), que le fascisme est extérieur à la  » démocratie  » et que celle-ci constitue un rempart contre lui (et plus généralement, diront les plus rusés, contre tous les  » extrêmes « ) réapparaît alors, du fait non seulement du discrédit porté sur toute lecture critique d’événements comme l’holocauste, le nazisme et la deuxième guerre mais aussi de ce qu’une telle conception semble rencontrer une vérification empirique dans les conditions d’émergence du révisionnisme. De fait, l’histoire du révisionnisme est écrite par l’Etat; elle est donc éducative. Quelle que soit l’origine réelle de l’imposture révisionniste (simple création policière ou intoxication  » spontanée « , éventuellement encouragée en sous-main) ce qui importe, ce n’est pas tant l’activité réelle des négationnistes que son écho médiatique et ce que celui-ci permet de recouvrir. Un des procédés classiques de la pédagogie étatique consiste ainsi à imputer à l’adversaire (ou prétendu tel) ses propres méthodes et ses propres objectifs: de même que, dans le domaine géopolitique, la référence continuelle qui est faite par les partisans d’Israël à une possible destruction de cet Etat sert en réalité à couvrir la destruction effective de la Palestine ; dans le domaine historique la mise en garde perpétuelle contre la menace que constituerait le révisionnisme pour l’histoire et la mémoire, sert là aussi, à masquer leur anéantissement. Dans un même mouvement se mettent en place une falsification systématique de l’histoire récente, (caractérisée notamment par l’occultation des manipulations étatiques et des conspirations en faveur de l’ordre établi) et une réécriture permanente des grands bouleversements sociaux du passé conformément à la conception policière de l’histoire (refusée pour le présent).
Le révisionnisme, en couronnant cet immense amas d’impostures, ne fait que compléter le dispositif, en permettant de discréditer toute tentative de décryptage des diverses falsifications médiatiques et manipulations étatiques (cf par exemple le détournement crapuleux, en faveur du révisionnisme, des Commentaires de Debord par Guillaume). Rien n’est plus caractéristique à cet égard que cette dénomination de  » révisionniste  » reprise par les antirévisionnistes professionnels pour disqualifier toute démarche historique allant à l’encontre des vérités officielles (l’Etat devenant ainsi seul apte à délimiter les territoires de la vérité et de l’erreur historique): Le négationnisme des succès du libéralisme constitue le pendant et la condition du négationnisme des faillites etdes crimes communistes…(Revel).
…Ils s’obstinent à nier l’évidence, s’enferment dans le fantasme puéril de la conspiration, dans la posture paranoïaque du dissident (…), la méfiance systématique, cette fausse lucidité qui est la version sophistiquée du révisionnisme…(Bruckner).
…Le langage clos ne démontre pas, il n’explique pas, il communique la décision, le diktat, l’ordre. Il baigne dans les tautologies, mais les tautologies sont des sentences terriblement efficaces. Elles jugent à l’aide de préjugés…elles condamnent ; par exemple le contenu objectif, c’est-à-dire la définition de termes comme déviationniste, révisionniste, est celui du code pénal. Cette sorte de justification fait naître une conscience pour laquelle le langage du pouvoir dominant est le langage de la vérité…

Le terme  » révisionniste « , qui désignait d’abord les partisans de la révision du procès de Dreyfus puis les défenseurs d’une adaptation du marxisme au monde moderne fut, on le sait, récupéré par les partisans du Grand Timonier pour discréditer tous leurs adversaires. La facilité avec laquelle tant de  » penseurs « , eux-mêmes souvent issus du maoïsme, réemploient, au service de l’ordre établi, cette expression – dans un sens différent mais avec une fonction identique – ne peut s’expliquer que d’une seule façon, à savoir le caractère stalinien du langage dominant, et donc du monde dont il est l’expression.
Les injonctions de Big Brother sont faites pour être violées: je me déclare donc sans ambages partisan du révisionnisme, de la lutte contre la falsification et la confusion, en faveur de la réhabilitation de la vérité et du temps historique. Une telle lutte ne peut être simplement théorique, elle appelle une clarification en actes, une révolution. Avant, cependant, de laisser parler la critique des armes, concentrons dès maintenant l’arme de la critique sur l’historiographie stalinienne (qu’elle soit le fait des anciens thuriféraires de la Russie ou de la Chine  » rouges  » ayant mis leur science du mensonge au service du libéralisme et de l’occident, ou de leurs adeptes). La critique, en effet, ne saurait se limiter aux seules faurissoneries, elle doit prendre dans son champ l’ensemble des manipulations historiques passées et présentes, et briser un devoir de mémoire limité au seul nazisme et impliquant pour l’ensemble des autres crimes un devoir d’oubli: un devoir de mémoire partiel, se focalisant sur un seul événement, préalablement coupé de ses racines historiques concrètes, et négligeant le reste, constitue en effet une absurdité en soi. Ce qui frappe immédiatement, lorsqu’on lit les livres ou les journaux, lorsqu’on écoute les émissions ayant pour thème tel ou tel méfait spécifique du système, c’est une dissociation systématique entre l’être de celui-ci et son phénomène, entre son essence et sa manifestation.
Le système, en effet, ne saurait reconnaître les crimes qui sont la conséquence normale de son fonctionnement; il préfère être jugé, non sur ce qu’il fait, sur ses crimes effectifs, mais sur ce qu’il est, ontologiquement parlant, sur son essence démocratique intemporelle, dont les crimes en question ne seraient qu’une altération, une erreur, une déviation ( » Période des Erreurs et Déviations « , telle était la dénomination, dans la langue de bois de la bureaucratie polonaise, de la période antérieure à la  » déstalinisation « : la mise en cause des crimes du stalinisme ne pouvait, en aucun cas, atteindre la pureté même du  » socialisme « , au sens stalinien du terme, c’est-à-dire le système supposé bon par nature de la propriété bureaucratique des moyens de production). A mesure qu’il progresse, le système se déleste de ses crimes antérieurs afin de pouvoir continuer sa marche en avant et accumuler sans trêve de nouvelles catastrophes et de nouvelles tragédies. C’est  » oublier  » opportunément que…Toute chose n’est que ce qu’elle fait…Elle ne peut rien avoir dans ce qu’on nomme son intérieur qui ne soit manifesté à l’extérieur: en un mot son action et son être sont un…

Le libéralisme parvient cependant, relativement aisément, à se défausser de ses forfaits. Comment? c’est bien simple: en s’évanouissant derrière le contingent et le particulier. Il se référera à des circonstances ponctuelles (l’immonde terreur des vilains Algériens contre des civils et la réaction un peu rude de militaires humanistes choqués par de tels procédés). Surtout il privilégiera les problèmes de personnes; il mettra sur le compte d’excès individuels les altérations de l’essence par nature bonne du régime: Aussaresse, Massu, Foccart, Kissinger, Papon, Mitterrand…

Cette  » démocratie  » qui, malgré tout le mal qu’elle se donne, ne parvient pourtant pas à être aimée pour elle-même, ne se contente pas, avec les encouragements de certaines victimes, avides de voir les déclarations de repentance pleuvoir de la bouche des assassins, de procéder à son auto-absolution, il lui faut également, en occultant tout lien entre elle et les régimes dictatoriaux et totalitaires, ériger ceux-ci en repoussoirs et faire-valoir. Tout tourne alors autour des rapports entre les trois compères: A) Capitalisme libéral, B) Fascisme, C) Stalinisme. Dans l’optique stalinienne proprement dite, B est purement et simplement rattaché à A, dont il est analysé comme une forme particulièrement féroce et agressive, et les liens entre B et C se trouvent niés de façon catégorique. Dans la vulgate libérale, B est purement et simplement rattaché à C au moyen d’un dénominateur commun: le totalitarisme (précisons que ce qui est choquant ce n’est pas tant, comme l’affirme la contestation bien-pensante du Monde Diplomatique, l’assimilation du stalinisme et du nazisme qui ne date pas de Furet-Courtois et qui fut opérée par tous les principaux représentants du courant radical et révolutionnaire, que ce qu’elle recouvre, c’est-à-dire, outre l’occultation des liens entre les différents totalitarismes et le libéralisme, la confusion renouvelée entre communisme et stalinisme et, par l’intermédiaire de celui-ci, entre communisme et fascisme) et les liens entre A et B se trouvent niés de façon catégorique.

Dans cette optique, le totalitarisme est présenté comme extérieur à la démocratie et au capitalisme, comme étant le produit d’une génération spontanée (produit atemporel donc, pouvant resurgir à n’importe quel moment), le fruit de l’activité d’extrémistes déchaînés ennemis de la liberté et de la démocratie… Etranger à la situation sociale et politique et au pays même dans lequel il prend pied (victime d’une tentative de déstabilisation de la part de l’étranger), résultat, avant tout, d’une dynamique exogène, il ne peut être que l’agresseur, l’offenseur, le déclencheur des hostilités: tout commence avec lui et tout finira avec sa neutralisation. Ce sont, en effet, des hommes sortis d’on ne sait où qui décident brusquement un jour de soumettre leurs peuples à une domination totalitaire et de mettre l’Europe à feu et à sang: pourquoi cet assaut simultané des extrémistes-de-tous-bords contre Sainte-Démocratie, pourquoi la Russie, l’Italie ou l’Allemagne, et non la Suisse, l’Angleterre ou les USA? Pourquoi cette période et non une autre? Mystère… Ce sont les Eichmann qui créent le système et non le système qui crée les Eichmann…
On retrouve ici les mêmes mécanismes dénégateurs que lorsqu’il était question des crimes directs du libéralisme: dans ce premier cas, il s’agissait pour celui-ci de se décharger de ses responsabilités sur des individus qui altéraient de l’intérieur la pureté du système; dans le cas présent, ce même libéralisme met tout sur le compte de l’Autre hostile, d’individus qui de l’extérieur apportent le Mal, d’esprits pervers à qui l’on doit la création de systèmes -Communisme, Fascisme, Nazisme- mauvais par nature. Le libéralisme met ainsi en place une approche dualiste et manichéenne, qui lui permet, non pas tant d’évacuer le Mal, que de le mettre à profit. Cela se traduit par la mise en oeuvre d’une dissymétrie systématique entre, d’une part, le traitement réservé au régimes totalitaires et, d’autre part, celui réservé aux régimes dits démocratiques. On ne se référera à celui-ci que par ce qu’il est censé combattre, on ne l’appréhendera qu’à travers le prisme de la barbarie de ses ennemis, et, nous l’avons vu, on le jugera non sur sa réalité, mais sur son essence abstraite. En revanche, dans le cas des différents totalitarismes, on jugera l’essence du régime nazi ou du régime supposé communiste sur leurs crimes, on ne verra dans le bolchevisme que ce à quoi il a donné naissance (le totalitarisme stalinien) et non ce contre quoi il s’est dressé (l’oppression tsariste, la guerre, l’exploitation), on fera silence sur les circonstances concrètes qui ont présidé à l’avènement du fascisme et du nazisme et on ne mettra en valeur que ce qui est spécifique à ce dernier (l’extermination raciale comme fin en soi, le massacre industriel et son symbole, la chambre à gaz,…) et non ce qui lui est commun avec ses adversaires (quitte à faire du cas, par exemple de Oradour-sur-Glane un symbole de la barbarie nazie, alors que l’histoire coloniale et néo-coloniale française, américaine ou israélienne, entre autres, est parsemée de cas similaires); bref, on appliquera ce que j’appellerais une politique de  » décrochage  » et de  » desserrement « , caractérisée par la volonté de desserrer, en absolutisant les différences et les oppositions, les liens tant synchroniques que diachroniques qui rattachent le libéralisme aux systèmes antagonistes (de la simple dictature aux régimes totalitaires).
Une  » parenthèse « , ainsi, dès 1944, Croce définissait le fascisme (une parenthèse, c’est également ainsi que les actuels dirigeants russes définissent la période  » communiste « ). Force est de constater qu’en 2001, la parenthèse n’est pas encore refermée… C’est que le fascisme, loin de représenter une parenthèse, constitue au contraire un point nodal du discours historique qui, sans lui, demeurerait incompréhensible. Car…

  • On voit où vous voulez en venir: vous allez nous ressortir toute la grosse artillerie marxiste et ses sophismes pesants: le fascisme, c’est le Grand Capital, c’est l’industrie lourde; libéralisme, fascisme, même combat. Le fascisme est un produit organique en quelque sorte de la démocratie bourgeoise…Seul un libéral bourgeois peut opposer la démocratie bourgeoise actuelle au régime fasciste, la considérer comme une forme politique procédant d’un principe différent…voilà ce que clamaient déjà vos frères ennemis staliniens en 1931. Et ça se croit original!
  • Je tiens à signaler à mon honorable contradicteur tout le fossé qui existe, concernant le fascisme, entre les positions staliniennes et celles du courant radical…
  • Le courant radical, parlons-en! sans même évoquer le révisionnisme, puisque cela semble vous irriter, je me contenterais de vous faire remarquer que, dans son plus grand effort il n’a débouché que sur cette impérissable analyse…Auschwitz ou le grand alibi…
    Réintégrer Auschwitz à l’histoire, ce n’est évidemment pas, comme l’ont fait les bordiguistes, mettre directement en relation un effet (Auschwitz) avec une cause (économique), ce qui aurait pour conséquence de refuser de considérer cet effet dans toute sa spécificité et de le réduire à quelque chose de connu, à une exploitation capitaliste classique simplement poussée à l’extrême. Ce qui manque, en effet, aux bordiguistes, c’est la dialectique. Ils ne voient toujours ici que la cause, là que l’effet. Que c’est une abstraction vide, que dans le capitalisme réel pareils antagonismes polaires métaphysiques n’existent que dans les crises, mais que tout le grand cours des choses se produit sous la forme d’action et de réaction de forces, sans doute très inégales dont le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive, qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif, tout cela, que voulez-vous, cher lecteur, ils ne le voient pas; pour eux Lukàcs et Debord n’ont pas existé. Pour éviter de tomber dans de tels travers, il suffit de savoir distinguer entre ce qui constitue la conséquence directe de l’exploitation économique capitaliste et les processus historiques nés de la conservation de l’inconscience dans le changement pratique des conditions d’existence. En clair, sur la base des conditions créées par le développement du capital, le fascisme n’était pas inéluctable, il ne le devint que lorsque le socialisme eût été écrasé: ce qui était utopique, c’était le maintien de la démocratie bourgeoise et de sa paix. Cela ne veut pas dire que la période précédant le fascisme et la seconde guerre impliquait inéluctablement ces derniers comme A contiendrait B mais bien plutôt que le développement non interrompu de l’économie impliquait inéluctablement le spectacle, le fascisme, le totalitarisme, que l’absence d’une réappropriation de l’économie par les hommes impliquait une appropriation totale des hommes par l’économie, que des révoltes partielles conduisaient à un renforcement de la domination (et de ce point de vue Nolte a raison: le fascisme constitue bien, sous sa forme concentrée, une réponse d’urgence aux manifestations encore partielles, incertaines, hésitantes de la conscience de classe; de fait, les Etats-Unis, contrairement à la Russie, l’Allemagne ou l’Italie, n’ont pas connu de phase proprement politique du fascisme) et à un accaparement par la domination des symboles et des concepts de la subversion révolutionnaire dans un but de brouillage et de confusion.

Ce n’est que, dans ce mouvement d’ensemble, que l’on peut comprendre l’émergence des régimes totalitaires.
On oublie trop souvent, en effet, que s’il a pu exister des régimes totalitaires historiquement situés et datés, il n’est qu’un seul système totalitaire, le capitalisme, dont les premiers ne sont que des sous-produits archaïques: à son stade actuel le fascisme combine habilement certaines méthodes politiques empruntées aux régimes totalitaires à la domination  » naturelle  » de l’économie sur les hommes.

Le nabot Thiers, escroc inféodé à Bismarck, était un homme d’Etat, pas le boucher de la Commune.
Les bocalistes fin de siècle : Bourdieu-Ramonet, Morin-Lévy, Buren-Soulage, Debray-Fitoussi, Finkelcraut-Adler, Baudrillard-Surya…, tous ces spécialistes, ces agités du bocal vide, cette génération que le fascisme intégral à plié à ses lois, qui tentent vainement de me faire oublier leurs compromissions, leurs servitudes. Leur point de vue, est toujours celui du Spectacle.
Ils ont eu, ce qu’ils ont toujours voulu avoir; ce sont les hommes du manque, de la simulation générale qui collaborent le mieux.

…Pauvreté émotionnelle d’individus vivant dans un monde d’idées et qui ont peu de contact avec la réalité physique… Ils ne sont que de petits disputeurs ! Raisonneurs ! Insulteurs ! Homme de parti, ces intrigants sans idéal…que les nouilles !!

…La puissance cumulative d’un artificiel indépendant entraîne partout la falsification de la vie sociale…

C’est de l’intérieur de ce qu’elle nie, dans son présent, qu’elle doit surgir comme conscience de ce qui est nié

Mon père me faisait cette étonnante remarque…
…j’ai la sensation d’avoir été mâché comme ceux de ma génération. Toi tu risques bien d’être avalé !…